La bataille de Soubise, en Saintonge, qui se déroula le 23 août 1372 fut le dernier combat de Jean III de Grailly, le célèbre captal de Buch,
qui paya sa fidélité à Edouard III et à Edouard de Woodstock (le fameux Prince Noir)
par la captivité et la mort dans les cachots du Temple à Paris en 1376.

 

 

Été 1372. La reconquête par Charles V, sous l'égide de Bertrand Du Guesclin, des territoires concédés aux Anglais par le traité de Brétigny (1360) bat son plein et rencontre de grands succès.
Le connétable s'étant emparé de Poitiers, tous les capitaines anglo-gascons vont se remparer avec leurs garnisons dans les places fortes qui demeurent entre leurs mains. Ainsi de Niort et de Saint-Jean-d'Angély, où se tient le captal de Buch. (1)
Le château de Soubise (2) présente un intérêt stratégique évident puisqu'il commande l'embouchure de la Charente. Pour cette raison, le captal a fait chasser des routes bretonnes qui menaçaient les lieux et fait installer une petite garnison pour défendre la dame de Soubise, Jeanne de Parthenay-L'Archevêque (3) qui se tient fidèle à l'obédience anglaise et au roi-duc d'Aquitaine, Edouard III d'Angleterre (4).
Pour ces mêmes raisons d'importance stratégique, Du Guesclin, connétable de France, décide d'envoyer trois cents lances (5) s'en saisir, sous le commandement de Renaud VI de Pons (6), un des plus importants seigneurs saintongeais, et du chevalier Thibaut du Pont.
Ne pouvant résister longtemps aux assaillants avec si peu de défenseurs, Jeanne de Parthenay dépêche un écuyer demander des secours au captal de Buch. Grailly rassemble en hâte deux cents lances comprenant les troupes du sénéchal d'Angoulême Henri de la Haye (Froissart le nomme Henry Haye ; c'est probablement un Anglais), celles de Sir Thomas Percy, sénéchal de Poitiers et chevalier de l'ordre de la Jarretière, de Guillaume de Mareuil et de John Creswell (7) et se met à leur tête.
Or, Owen de Galles (8) qui combat depuis de longues années du côté français a vent de ce mouvement de troupes par les espions qu'il entretient sur toute la côte. Il décide de tendre une embuscade au captal et, à l'insu de son allié Renaud VI de Pons, il vient s'embusquer avec quatre cents hommes d'armes montés sur des barques, dont une majorité de Castillans, (9) sur la rive opposée de la Charente où se tenait ce dernier.
La disproportion des forces étant négligeable et annulée par l'effet de surprise qu'il escomptait, le captal, parvenu sous les murailles de la place au courant de la nuit, fait mettre pied à terre derrière un bois. Là, on se concerte, on resserre les courroies des plates et les sangles des chevaux puis on charge, pennons et bannières déployées en hurlant devises et cris de guerre. L'effet réussit pleinement face à des assaillants assoupis qui n'ont pas même le temps de prendre leurs armes. Renaud de Pons, Thibaud du Pont et soixante chevaliers se rendent, tandis que leur ost prend la fuite et se fait tailler en pièces par les Anglo-gascons.
Galvanisés par cette facile victoire, déjà les soudards du captal s'enivrent, s'égaillent et commencent à se partager les dépouilles des vaincus. C'est le moment qu'attend Owen de Galles pour intervenir. À la tête de ses quatre cents soudoyers, frais et avides de revanche, il traverse en silence la Charente, fait allumer quantité de torches dans la nuit noire et se rue sur l'ennemi désorganisé et trop confiant. S'ensuit un bref et violent combat où ceux qui avaient cru à l'effet de surprise se trouvèrent pris à leur propre jeu. Bientôt submergés et décimés, les Anglo-gascons périssent ou se rendent.
Jean de Grailly se trouve aux prises avec un écuyer du Vermandois, Pierre d'Auvilliers (10). Voyant l'affaire perdue et sur l'instance de son adversaire, il se rend, après s'être toutefois assuré qu'il avait affaire à un gentilhomme.
D'autres sont pris : Thomas Percy par David Honnel, un clerc du Pays de Galles, Henry Haye, Maurice de Line. Gaultier Huet, Petiton de Courton, capitaine du Périgord, William Farrington, John Creswell et une poignée d'autres parviennent à gagner les portes du château que Jeanne de Parthenay fait ouvrir en hâte pour les mettre en sécurité.
Au lendemain matin, Owen de Galles fait venir jusque sous les murs la petite flotte dont ses barques avaient été détachées. Il entreprend le siège du bourg et du château de Soubise (11) par la Charente tandis que Renaud de Pons, libéré par son énergique intervention, prépare l'attaque du côté des terres.
Ne pouvant longtemps résister désormais que le captal est pris, sur l'avis de ses chevaliers et des capitaines anglais et gascons réfugiés, la décision est prise par la châtelaine de traiter. Petiton de Curton lui aurait déclaré : « Dame, nous savons que vous ne pouvez tenir longtemps. Les ennemis nous entourent trop bien et nous ne pouvons sortir sans courir un grand danger à travers l'armée française. Nous traiterons aux conditions suivantes : on nous laissera sortir sains et saufs sous la conduite du seigneur de Pons et vous resterez en l'obéissance du roi de France. » (12) Sous condition qu'elle se déclare vassale du roi de France, la garnison obtient un sauf-conduit pour se retirer avec armes et bagages. Les ponts du château sont abattus et les Français en prennent possession. Quant aux prisonniers et au captal de Buch en particulier, ils sont embarqués sur des galères qui rejoignent l'escadre espagnole mouillée devant La Rochelle.
On ne reverra plus jamais le captal de Buch sur un champ de bataille. Épuisé par sa longue captivité au Temple à Paris et refusant de faire allégeance au roi de France, il se laissera doucement mourir lorsqu'il aura appris la disparition en 1376 du maître auquel il aura été fidèle toute sa vie, Edouard de Woodstock que l'Histoire a immortalisé sous le nom du Prince Noir.

Sur cette « image d'Épinal » dans le pur style romantique cher au XIXe siècle, où l'on a besoin de retrouver des héros (Du Guesclin, Jeanne d'Arc…), le captal de Buch se rend à Bertrand Du Guesclin à l'issue de la bataille de Cocherel, le 16 mai 1364, combat au cours duquel le routier anglais Jean Jouel trouva la mort en se laissant prendre à la feinte de Du Guesclin.

Le captal pris, Charles V voulut se l'attacher en lui offrant notamment le comté de Nemours.

Si Grailly se laissa prendre un temps à ces sirènes, il se replaça bien vite dans l'obédience naturelle de sa famille pour le roi-duc Edouard III, duc d'Aquitaine.

C'est une des raisons pour lesquelles, lorsqu'il fut capturé à l'issue de la bataille de Soubise, il se vit refuser un traitement digne d'un chevalier de son ampleur en le laissant croûpir à la prison du Temple.

Jean III de Grailly, Captal de Buch, chevalier de la Jarretière,
illustration from the Bruges Garter Book, c.1430. © British Library
D'or à la croix de sable chargée de 5 coquilles d'argent.

1 - Jean III de Grailly, captal de Buch (1330-7 septembre 1376) est, de par sa situation et le prestige de sa famille, le chef naturel de la noblesse gasconne. Il a succédé à John Chandos († 1er janvier 1370 à Morthemer) aux fonctions de connétable d'Aquitaine.

2 - Près de Rochefort, département de la Charente-Maritime.

3 - voir : Jeanne de Parthenay
Jeanne de Parthenay est l'épouse de Jean Chaudrier, maire de La Rochelle en 1359, 1362, 1366 et 1370, qui fera l'objet d'un autre article « 1373 : comment les Rochelais livrèrent la ville aux Français ».

4 - Sous les coups de boutoir de la reconquête française, la principauté d'Aquitaine a vécu. Et surtout depuis le départ du fameux Prince Noir, Edouard de Woodstock qui, malade, est retourné en Angleterre et a renoncé à ses droits. Son frère, John de Gand, duc de Lancastre, avait bien repris le flambeau, mais il avait mené de désastreuses campagnes et n'avait pas su se faire aimer comme son illustre aîné de la noblesse et des populations gasconnes.

5 - La lance est une unité de combat comportant en général le chevalier, quelques pages et écuyers et quelques hommes d'armes montés ou non, piétaille, archers et arbalétriers. On peut estimer cette force aux environs de deux mille hommes de guerre.

6 - Renaud ne cessa de tergiverser et de changer d'obédience. À cette époque, il est passé définitivement dans le camp français, contrairement à sa femme, Marguerite de Périgord, qui, avec la population, tint longtemps contre lui le château et la ville de Pons pour l'Angleterre.

7 - John Creswell, capitaine de route des Tard-venus, lequel trouva la mort à Niort en 1373.

8 - Yvain de Galles (gallois : « Owain Lawgoch », anglais : « Owain of the Red Hand »), Owain ap Thomas ap Rhodri (c. 1330 - 1378) était un prétendant au titre du prince du royaume de Gwynedd et du Pays de Galles.
Après la mort de Llywelyn le Dernier en 1282, Yvain fait valoir ses prétentions au trône de Gwynedd, puisqu'il est un petit-neveu de ce dernier, petit-fils de Rhodri ap Gruffudd, le frère de Llywelyn. Yvain est un soldat qui sert en Espagne, en France, Alsace et en Suisse. Il mène une compagnie combattant pour les Français contre les Anglais lors de la guerre de Cent Ans. Il a de bonnes relations avec Bertrand Du Guesclin et d'autres qui reçoivent l'appui de Charles V. En 1363, il revient au Pays de Galles pour revendiquer ses droits, en vain. En mai 1372 à Paris, Yvain annonce qu'il a l'intention de réclamer le trône du Pays de Galles. Il s'embarque à Harfleur avec de l'argent emprunté à Charles V, mais l'expédition doit être abandonnée lorsque Charles décide qu'il a besoin des services d'Yvain en tant que soldat à La Rochelle. Owain Lawgoch se distingua surtout sur mer où il participa à de nombreuses batailles. Article wikipedia sur Yvain de Galles.

9 - À cette époque, une flotte espagnole assiégeait La Rochelle. Henri de Trastamare, replacé définitivement sur le trône de Castille après la bataille de Montiel grâce à l'appui de la France était largement redevable à Du Guesclin.

10 - Cet écuyer devra plus tard, au nom de ses principes, regretter amèrement cette glorieuse prise, étant donné le destin réservé au captal de Buch. Grailly, enfermé à la tour de Temple à Paris, se verra refuser une libération contre rançon contrairement à toutes les règles de la chevalerie. Il est vrai qu'après la bataille de Cocherel (16 mai 1364) où il fut pris, le roi de France voulut se l'attacher en lui donnant le comté de Nemours. Mais bien vite, le captal avait renoncé à la générosité de Charles V pour renouer au plus vite avec ses alliances ancestrales au côté du parti anglais.

11 - On peut encore deviner quelques traces des murailles sous un amas de ronces près de l'église.

12 - Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis, Tome XXXI, 1902. « Renaud VI de Pons, Vicomte de Turenne et de Carlat, seigneur de Ribérac, etc. » par Jules Chavanon, archiviste paléographe.